Sylvie BERMANN, « La Chine en eaux profondes », Les Essais, Stock, 2017
Etudiante en Chine après la mort de Mao Zedong, diplomate à Hongkong puis Beijing dans les années 1980, première femme ambassadeur de France en Chine, de 2011 à 2014, avant Londres et aujourd’hui Moscou, Sylvie Bermann a été, au premier rang, témoin de l’extraordinaire autant que preste mutation d’un pays dont elle maîtrise la langue. Une Chine rurale, pauvre, communiste muée en seconde économie mondiale : une génération pour rattraper le temps perdu, arracher à la misère 700 millions de personnes, et laver l’humiliation infligée par l’Occident après les Guerres de l’opium. Monde en soi, nation continent, Etat civilisation, héritier d’un continuum historique sans égal et d’une culture plurimillénaire, cette Chine areligieuse et syncrétique conserve une vision de centralité, d’exceptionnalité et de centralité. Ses traditions font à présent partie d’un soft power gouvernemental massivement financé, mais dans une approche erronée, conçue pour le hard power… A l’avènement de la République, en 1912, le ministère des Rites du défunt empire mandchou devient celui des Affaires étrangères. Pays sans allié ni alliance, dont la priorité en politique extérieure demeure la politique intérieure, mais premier contributeur en troupes des Nations Unies, il entretient avec les Etats-Unis une relation d’amour-haine, une lune de miel de façade avec la Russie et un lien complexe, au passé mal apuré, avec le Japon. Dans une logique de puissance mais sans tradition hégémonique, il fut de tout temps favorable à une Union Européenne qu’il ne répugne point à diviser, tandis que son étroit partenariat avec l’Allemagne associe à présent les deux puissances commerciales planétaires. Pays capitaliste dirigé par un pouvoir communiste, devant nourrir le quart de la population mondiale avec 5% des terres cultivables, la Chine est en permanente transition, vers une « société de moyenne aisance » à l’horizon des décennies à venir. Tenante du Consensus de Beijing – enrichissement économique contre liberté politique – plutôt que de celui de Washington, elle entend passer d’un modèle de développement fondé sur les investissements étrangers et les exportations à une économie portée par la consommation intérieure, les services et l’innovation, faisant davantage place au secteur privé. Sur fond de génération nouvelle et de société civile bouillonnante – entrepreneurs, internautes, touristes internationaux, étudiants retour de l’étranger… – elle prend à bras le corps d’énormes défis : corruption – problème vital pour le PCC -, dégradation environnementale, urbanisation massive, inégalités sociales et régionales, démographie – vieillissement, ratio hommes-femmes -, endettement des collectivités territoriales ou terrorisme islamiste, une religion qu’elle peine à comprendre. L’Europe n’est plus au centre du monde : il nous faut compter avec cette Chine, pays des oxymores qui, définitivement, ne sera jamais telle que les Français voudraient qu’elle soit, et affronter le dilemme posé par Henry Kissinger : coopération ou confrontation stratégique ? Tout le monde a sa Chine imaginaire qui, très loin du pays réel, suscite soit amour soit rejet. Alors que la Chine maoïste séduisait davantage les intellectuels français que la Chine actuelle, il est impératif de la comprendre, et donc de la connaître mieux… Vaste tâche ! Notre intérêt est qu’elle demeure un pôle de stabilité. Si celui que l’on nommait au 17e siècle l’honnête homme vivait encore, il trouverait dans l’ouvrage de S. Bermann l’essentiel de ce qu’il devrait savoir de la Chine d’aujourd’hui.
David BAVEREZ, « Paris-Pékin express. La nouvelle Chine racontée au futur Président »,
Editions François Bourin, 2017 Mai 2017, le nouveau Président de la République française, soucieux de réforme, décide d’effectuer son premier déplacement officiel non à Berlin… mais à Beijing. Il demande à être accompagné par notre auteur, investisseur basé à Hongkong, afin d’échanger durant le vol sur cette Chine en révolution, nourrie de technologie, services et consommation, où s’invente quotidiennement un monde nouveau fort méconnu des Français. Et aussi quotidiennement décrié par nos médias. Autocratique, fourbe, exsangue, corrompue, vieillissante, polluée, inégalitaire, cette Chine est ici l’objet d’une vision largement déformée, de jugements radicaux, alors qu’elle est un univers complexe en constante évolution. Ceci nous conduit à gravement surestimer ou sous-estimer ses capacités, selon que l’on se range dans le camp des « sinooptimistes » ou des « sino-pessimistes ». En faillite, le quotidien britannique Financial Times, a été racheté très cher par les Japonais, car très hostile à la Chine. Pourquoi ne pas le lire ? A condition de faire de même du très officiel China Daily : une Chine peut en cacher une autre… Etat riche, peuple pauvre, « démocrature » (une dictature n’autoriserait pas 80 millions de ses ressortissants à voyager chaque année à l’étranger), la Chine dispose d’un modèle unique de gouvernance – compétence, pragmatisme, résultats – et d’une capacité à se réformer héritée de Deng Xiaoping. Quant à Xi Jinping, il pense que le contrôle absolu du Parti et de l’armée est le prélude au lancement des réformes. L’évolution majeure de ces quinze dernières années a été la montée en puissance d’une classe moyenne d’environ cent millions de membres et l’apparition d’une opinion publique sur les réseaux sociaux, creusant le fossé générationnel : sept cent millions d’abonnés à WeChat, cinq cent millions de Smartphones, la moitié du commerce électronique mondial ; les Chinois sont devenus rois de la monétisation des données. Dette, démographie, environnement, inégalités, bulle immobilière et réforme inachevée des entreprises d’Etat, le pays s’emploie au-delà de ses problèmes à siniser le progrès technologique et investit massivement dans l’innovation : Shenzhen est devenue le « laboratoire du monde ». On veut « made in China, by China, for China ». Adeptes du rapport de force et ayant renoncé à considérer l’Europe comme une véritable puissance capable de défendre collectivement ses intérêts, les dirigeants chinois ne respectent que l’Allemagne et la Suisse, deux pays qui n’ont jamais dévalué leur monnaie et su maintenir un leadership mondial dans des niches industrielles convoitées. Les autres pays européens ont préféré la dévaluation au détriment de la compétitivité et de la productivité de leurs industries… Qui fait preuve à l’endroit de la Chine de conciliation, d’arrogance ou de soumission est perdant : il faut exiger la réciprocité. Même si jeunes français et chinois nourrissent de l’avenir des visions diamétralement opposées et si les décideurs de la République populaire attribuent à l’hexagone la note AAA (Alcatel, Areva, Alsthom, ex leaders mondiaux rachetés ou en faillite pour n’avoir su profiter des opportunités du marché chinois), notre pays – son secteur des services, du tourisme, de la culture – pourrait y avoir un grand avenir. Entre déficit commercial géant et bébé panda, voilà Jupiter prévenu…