« Géopolitique de la Chine » avril-mai 2023
Où en est la Chine en ce milieu d’année 2023, à l’aube du troisième mandat du Président Xi Jinping et après l’arrêt brutal de la politique « zéro COVID » ? Quelles sont les forces et fragilités de la deuxième économie et du premier exportateur mondial ? Ce numéro spécial, particulièrement fourni, réunit des contributions variées qui – c’est assez rare pour être souligné – très généralement privilégient l‘information à l’opinion et laissent place aux faits par rapport aux commentaires.
En 2022, la République populaire a, pour la première fois, perdu des habitants (850.000) : son premier défi est assurément démographique – fécondité en berne, vieillissement mal anticipé, déficit de filles (112 garçons pour 100 filles en 2021), retraites… Cette même année 2022 a vu la plus faible croissance économique depuis 1976 ; en la matière le plan Made in China 2025 demeure la ligne directrice, et l’économie se veut désormais « à circulation duale » : en contact avec le Monde, mais s’appuyant davantage sur la consommation intérieure, la production et les chaînes d’approvisionnement nationales. La démarche ne manque pas d’atouts, dont un accès aux matières premières offert par les Nouvelles routes de la soie. Voiture électrique, réseau TGV, aérien et maritime, une Chine – qui détient le monopole de la fabrication des conteneurs – se voit en futur leader planétaire du transport. Renouvelable, 5G, cloud, intelligence artificielle, cyber, biotechs, informatique quantique… En tête de 37 des 44 secteurs technologiques, elle est bien placée dans la compétition et se veut au premier rang mondial en 2049, confortée par sa domination de l’extraction et du raffinage des terres rares et minerais critiques, par ailleurs levier géopolitique. Cette Chine veut dominer les technologies de rupture de la quatrième révolution industrielle, gages de la puissance de demain. Championne par ailleurs de la transition énergétique ? Principal consommateur d’énergies fossiles – plus du quart de l’énergie mondiale – le pays a entamé un virage gazier et nucléaire et offre une situation paradoxale : la décarbonation de son mix énergétique se heurte à de nombreux obstacles.
Turbulences régionales
Les zones de tension ne manquent pas… A Taïwan, haut lieu de la production de semi-conducteurs, adepte de la stratégie du « porc-épic », à la traditionnelle « ambigüité stratégique » américaine s’ajoute désormais celle de Tokyo qui voit en la Chine « le plus grand défi stratégique que le Japon ait connu ». Les revendications territoriales de la République populaire dans la très militarisée mer de Chine méridionale l’opposent aux nations riveraines ; la dernière décennie a vu rien moins que 73 incidents sino-étrangers, dont la moitié avec le Vietnam et le quart avec les Philippines. Tibet, Xinjiang, Hongkong sont au rang des régions turbulentes. Dans la seconde, la réponse chinoise aux attentats islamo-nationalistes est bruyamment dénoncée par les Etats-Unis comme « génocidaire ». On regrettera ici que les articles consacrés au Tibet et à Hongkong se résument à un copier-coller du prêchi-prêcha médiatique…
Une neutralité ambiguë
Dans une arène internationale encore dominée par l’Occident, Beijing entend effacer le « siècle d’humiliations » en promouvant une alternative, manière de modèle westphalien d’autoritarisme souverain, techno-nationaliste, réunissant les Etats insatisfaits de l’ordre américain. Chine et USA se considèrent réciproquement comme leur principale menace extérieure sur fond de débat quant aux relations bilatérales largement hystérisé ; pour Joe Biden, c’est « coopération, compétition, confrontation ». Avec Australie et Canada, qui ont aussi banni Huawei de la 5G, des relations pareillement dégradées sont en voie d’apaisement : difficile pour la Chine de se passer de leur gaz naturel liquide, houille et autres… Une tension, mêlant économie et politique, qui n’est pas redescendue avec une Union européenne voulant moins de commerce et plus de sécurité. Avec l’Inde, le jeu paraît à somme nulle entre deux puissances montantes compétitrices, qui ont l’une de l’autre une perception négative. En Asie du Sud-Est, pivot des ambitions régionales chinoises, Xi Jinping appelle à bâtir un ordre sino-centré et son pays y expérimente ses initiatives diplomatiques et économiques, tandis que Chine et ASEAN sont devenues le premier partenaire commercial l’un de l’autre. Comment rester intégré dans l’économie globale et le système international en préservant le partenariat stratégique avec la Russie ? Par une neutralité ambiguë et l’accent mis sur le rôle des Etats-Unis et de l’OTAN dans le déclenchement d’un conflit érodant les derniers vestiges d’autonomie économique et stratégique de Moscou envers Beijing, acteur pragmatique d’abord soucieux de ses intérêts nationaux. Et qui fait un grand retour en Asie centrale, son arrière-cour énergétique, à travers la Belt & Road Initiative (les Nouvelles routes de la soie), auxquelles l’Union européenne oppose un peu crédible Global Gateway.
A l’horizon 2050 est la volonté d’atteindre la parité stratégique avec les Etats-Unis, qui en matière militaire conservent une avance. Le budget chinois de la Défense est donc en hausse (mais celui des USA demeure trois fois supérieur), ce qui ne signifie pas une militarisation complète de la société chinoise. Le pays est par contre une puissance spatiale totale – commerciale et militaire -. En 2020 a eu lieu le premier alunissage, 2024 : future base lunaire sino-russe avant l’arrivée sur la lune d’un ressortissant du très céleste empire…
En une centaine de pages, ce numéro des Grands Dossiers de Diplomatie, à la cartographie soignée, fait mieux que nombre d’ouvrages épais consacrés à la géopolitique de la Chine.
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