Responsable des activités « Chine » à l’IFRI, Marc Julienne s’interroge sur la direction prise à l’heure du centenaire du PCC – retour à l’idéologie, priorité au sécuritaire, regard révisé sur l’histoire, dérive néo-totalitaire – par un pays à la puissance et aux vulnérabilités jugées « préoccupantes ». Le contrôle de la population, dont il est en Occident souvent fait grand cas, est ici ramené des fantasmes aux réalités : la surveillance y est plus le fait des entreprises privées que de l’Etat, le crédit social plus administratif que technologique – et l’on peut s’interroger sur leur efficacité réelle -. Si les trolls chinois ne sont pas une légende, le Parti communiste n’a ni la volonté ni les moyens de faire main basse sur les médias sociaux, dans le cadre d’une entente tacite autorités-population.
Ces deux chiffres lors des précédentes décennies ont arraché à la misère plus de 700 millions de personnes : la croissance économique chinoise, qui n’a que peu faiblie en 2020, est désormais fondée sur la demande domestique et l’autosuffisance technologique, mais suffira-t-elle à rendre le pays riche avant que d’être vieux, alors que la démographie est désormais son problème majeur ? Un autre est la transition énergétique – impossible d’affronter sans la Chine le changement climatique -, vaste opportunité industrielle pour cette dernière, mais paradoxale : pionnière du véhicule électrique, de l’éolien, qui a installé trois fois plus de capacités solaires que l’Union Européenne… elle finance 70% des centrales à charbon dans le reste du monde. Ses villes intelligentes préfigurent, pour le meilleur et le pire, le monde numérisé de demain. Un nouveau code civil a vu le jour en 2021 et par milliers sont formés des juristes à la conception pragmatique et utilitaire du droit : le pays se veut par ailleurs puissance normative, qui investit les organismes mondiaux émetteurs de réglementations. La République populaire a ses talons d’Achille, dont une dépendance aux technologies de base, « problème caché le plus grave de la Chine », selon le Président Xi Jinping, dans la compétition pour la première place dans la course mondiale à l’innovation.
La Chine face au Monde
Malgré un soft power riche d’investissements dans médias et cinéma, sur la scène internationale, la portée et l’influence de son discours ne sont pas, estime-t-elle, à la mesure de son nouveau statut de puissance : les diplomates « loups guerriers » remporteront-ils la bataille des récits ? La fin du « doux commerce » est consommée avec des Etats-Unis en quête désespérée d’un adversaire à leur taille, afin de légitimer de colossaux budgets militaires et qui poussent les autres nations à s’interroger sur leur relation avec la Chine.
Dans le cadre de sa stratégie Indopacifique, Joe Biden bat le rappel de ses alliés pour une croisade – que le Président Macron juge « contre-productive » – à l’encontre d’une Chine qui désormais déprise volontiers un Occident « ne représentant plus que 11% de la population du monde ». L’Asie du Sud-Est est le terrain privilégié de la confrontation entre les Etats-Unis et cette Chine perçue de façon ambivalente, cherchant, dans le cadre de la Belt & Road Initiative 2.0, à arrimer la région à sa dynamique.
L’Europe centrale et orientale manifeste une déception face aux attentes placées dans la RPC, tandis qu’avec l’Union européenne, les contentieux sont multiples et croissants, ce dont témoigne la suspension de l’Accord général sur les investissements Europe-Chine. Les hommes politiques du vieux continent, en manque de vision, ont une difficulté croissante à trouver un équilibre entre intérêts et valeurs face aux pressions des médias, universitaires et autres ONG qui, tout dépourvus soient-ils de légitimité démocratique, entendent faire prévaloir leurs agendas…
En Afrique, la Chine développe une diplomatie économique offensive et directe et une relation de plus en plus financiarisée, alors que se diversifient domaines et niveaux de coopération. A l’endroit des conflits du Moyen-Orient, elle fait preuve d’un pragmatisme au service de ses intérêts, sécuritaires et économiques, de l’Afghanistan dont l’inquiète l’instabilité à la Syrie où elle semble la seule puissance capable de s’investir dans la reconstruction du pays. Les djihadistes ouïgours (5.000 selon les services de renseignement israéliens, de 10 à 20.000, familles comprises, selon d’autres sources) ne font pas mystère de leur désir de retour au Xinjiang cibler les Han. Ils demeurent pour l’instant sous protection d‘Al-Quaeda dans la région d’Idlib, cité dont le Parti islamique du Turkestan a activement participé à la conquête.
Loin de là, avec les nations d’Océanie, la lune de miel est finissante : procédure de divorce entamée avec l’Australie tandis que perdure un mariage de raison avec la Nouvelle-Zélande et qu’une relation extra-conjugale est entretenue avec les îles du Pacifique…
Bien pourvue budgétairement, la défense nationale est engagée dans une modernisation capacitaire, doctrinaire et institutionnelle, visant à disposer à l’horizon 2049 de l’une des meilleures armées au monde, capable de vaincre à l’heure de l’information. Dans le cadre d’une considérable intégration civilo-militaire, elle fait feu de tout bois : intelligence artificielle, calcul quantique, méga données, informatique en nuage, internet des objets… La façade maritime lui est désormais essentielle – la marine a triplé de taille en deux décennies, bientôt un troisième porte-avions tandis qu’une puissante milice maritime s’emploie aux opérations hybrides -, et Taiwan demeure priorité politique et militaire. La pensée stratégique est très vivante, qui n’ignore rien des combats dans le domaine cognitif et théorise guerre de l’opinion publique, guerre psychologique et guerre juridique.
Comme à l’accoutumée, le dossier de Diplomatie est aussi riche que bien conçu. La revue gagnerait à conserver la recette qui fait son succès, écorné dans cette livraison par les articles consacrés à Xinjiang, Tibet, Taiwan et Hongkong, dus à des militants chercheurs, qui en rien ne se distinguent des sermons médiatiques ordinaires…