Née dans une fort modeste famille de la province du Jiangsu – père menuisier, mère paysanne -, Li Chunyan se révèle brillante élève, boulimique de lectures et dotée d’une impérieuse volonté de réussir, nourrie aux sacrifices de ses parents. Une ambition, la très prestigieuse et très sélective université de Beijing qui, chaque année, n’admet que deux candidats du Jiangsu (70 millions d’habitants…). Beaucoup de travail, d’angoisse, mais le succès : ce sera langue et littérature française couplées à économie internationale pour la jeune étudiante qui constate que :
Le bonheur de la langue française s’arrête le jour où on décide de l’apprendre
A présent affranchie de ses origines sociales, elle entreprend son émancipation : premier poste dans la communication et premières aventures sentimentales avec des Français expatriés. Le fameux romantisme hexagonal en prend un coup sévère. Mais l’ambition de Li Chunyan ne s’arrête pas là, qui tente l’examen d’entrée aux grandes écoles françaises ; les quatre établissements l’admettent. Ce sera HEC, dont elle devient boursière, et Paris en 2003.
Un étrange pays, source d’émerveillement devant sa capitale monumentale. Et d’étonnements sans fin : couteaux et fourchettes, magasins fermés le dimanche, bureaucratie, soirées étudiantes avec distribution de préservatifs à l’entrée, enterrements de vies de célibataires, gay pride… Il faut apprendre l’incontournable bise, à parler un français incorrect, à arriver en retard, dire non aux supérieurs et, plus que tout, à se plaindre.
Entre tous les Occidentaux reconnaissables à leur façon de parler anglais, les Français, entretenant un rapport complexe au travail et à l’argent, plus portés à la réflexion qu’à l’action, champions européens du pessimisme, ont une opinion sur tout, critiquent (mais ignorent l’autocritique), râlent et se plaignent. Quitter ou rester dans ce pays à bien des égards attachant et insupportable – manifestations, insécurité… – ?
Etudes puis stages – dans l’aéronautique puis les cosmétiques, avec la découverte des surprenants produits de bronzage -. Une liaison avec un garçon français aux parents riches, notamment de préjugés antichinois, suivie d‘une rupture humiliante. Hypocrisie ? Complexe de supériorité ? Au pays de Cyrano, faisant l’amalgame entre pays, gouvernement et peuple, il est courant de s’en prendre à une Chine « dépeinte comme un pays pollueur, aux inégalités criardes et au régime politique autoritaire, qui vole les technologies occidentales et menace la stabilité du monde », alors qu’elle devrait être abordée avec un sens aigu de la nuance, et non en noir (médiatique) ou blanc… Stabilité et cohésion sociale y sont un défi permanent : « comprendre le contrôle des libertés publiques ne vaut pas acceptation aveugle et inconditionnelle ».
Bientôt sept années de vie parisienne, un poste chez un leader mondial des télécoms puis, en 2014, Chunyan fonde sa propre société de conseil, Feida Consulting, elle a trente-cinq ans et publie un premier ouvrage :
Très présente dans les médias, traditionnels et sociaux, où elle tente non sans courage d’apporter une pincée de bon sens à l’approche de la Chine, elle est au rang des victimes de l’hystérisation des relations entre les deux pays, d’où le sens de la nuance (comme le romantisme…) ont été congédiés.
« Cyrano, Confucius et moi » nous tend, avec beaucoup de sincérité et autant d’humour, un miroir dans lequel nous gagnerions fort à nous regarder.