Auraient tort ceux qui négligeraient cet ouvrage pensant qu’il s’agit simplement d’une énième expression de détestation à l’endroit des deux chefs d’Etat – incontournables de l’écosystème médiatique et éditorial, qui a l’avantage de donner bonne conscience et s’avère moins compliqué que de rechercher les causes dont les deux hommes sont les symptômes. D’abord parce que Christian Saint-Etienne, titulaire de la chaire d’économie industrielle au Conservatoire national des arts & métiers, est un économiste plus que reconnu, parce que sa vindicte, ensuite, s’accompagne d’analyses fouillées et enfin parce qu’il développe des propositions à même d’éviter que, face aux deux géants, l’Europe ne sorte de l’histoire.
Que l’on se rassure, notre auteur exècre bien un Président des Etats-Unis qui défait la puissance normative et les alliances séculaires de son pays. Et tout autant son homologue chinois qui durcit la mainmise du Parti communiste sur la population, tout en initiant des aventures extérieures dangereuses, en contradiction avec les enseignements de Deng Xiaoping. National capitalisme vintage à Washington, alliance du capitalisme absolu et de la pratique totalitaire à Beijing, Trump et Xi, ennemis à long terme des intérêts de leur propre nation, se trompent absolument, et l’affrontement du duopole contrôlant l’essentiel du pouvoir économique et stratégique mondial risque de conduire le monde à l’abîme.
La puissance américaine a certes de beaux restes : les quatre grands cabinets mondiaux d’audit financier ( Deloitte, KPMG, EY et PwC ), dont les informations alimentent les ordinateurs des centrales de renseignement des Etats-Unis, sont anglo-saxons, les GAFAM ( Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft ) façonnent les perceptions politiques et culturelles hors de Chine. Mais Donald Trump, dont le référentiel économique est celui des années 1960 et de la seconde révolution industrielle, détruit tout, affirme C. Saint-Etienne : le leadership stratégique de l’Amérique sur la planète, les normes comptables, juridiques et numériques qu’elle a imposées, le multilatéralisme… Xi, « l’anti-Deng », ayant sans contrepartie bénéficié de l’entrée de la Chine à l’OMC, veut lui l’intégration totale de l’Internet, du big data et de l’intelligence artificielle avec l’économie réelle pour placer son pays au sommet de la chaîne de valeur ajoutée mondiale. BATHX ( Baidu, Alibaba, Tencent, Huawei, Xiaomi ), Belt & Road Initiative, mer de Chine méridionale : il entend façonner un ordre international alternatif. Trump est sous l’œil de la Loi, la loi est sous l’œil de Xi…
Mais les deux pays s’imposent dans ce que Christian Saint-Etienne nomme la révolution iconomique. Après vapeur et électricité, une troisième révolution industrielle nous fait entrer dans cette iconomie[1] entrepreneuriale reposant sur la science et la technologie informatique, dont la puissance dépend des microprocesseurs et de son système d’exploitation. Nanotechnologies, biotechnologies, infocom, technologies cognitives, optronique, informatique quantique : l’iconomie recouvre ainsi l’ensemble des transformations et applications résultant de cette révolution informatique, une mutation scientifique et technologique, capitalistique et entrepreneuriale, organisationnelle et comportementale, globale et totale… et une intelligence artificielle qui bouleverse le monde, pour le meilleur et le pire. GAFAM contre BATHX : fin de la globalisation numérique ; les titans américain et chinois s’affrontent pour le contrôle du prochain milliard d’habitants connectés à pouvoir d’achat significatif…
[1] Néologisme créé en 2006 par l’économiste brésilien Gilson Schwartz pour désigner « l’économie des icônes, de l’information et des connaissances »
Les responsables politiques et médiatiques d’une Union européenne – 21% du PIB mondial – mais collectif de nains impuissants, divisés, naïfs, qui analysent tout en termes de concurrence et non de puissance et d’indépendance – ne s’intéressent pas et ne comprennent rien à la nouvelle révolution industrielle pas plus qu’à l’iconomie et tolèrent l’extra-territorialité américaine. Tout occupée à son mépris des nations comme des classes moyennes et populaires, la bureaucratie de l’UE, politiquement irresponsable, sans racines, réglemente, dépourvue de vision stratégique ou volonté d’affirmer ses intérêts, plongée dans un grand sommeil qui fait de la zone euro une colonie numérique américaine pour la gestion des données et un terrain d’affrontement sino-américain pour l’intelligence artificielle et la 5G. Sortir de cette mortifère condition suppose non un ensemble fédéral mais un noyau dur de nations volontaires conduisant une politique de puissance industrielle et militaire : huit pays (Allemagne, Autriche, Benelux, France, Italie, Portugal) représentant 307 millions d’habitants, 90% du PIB chinois et 60% du PIB américain. Sans renoncer aux intérêts et romans nationaux, ce noyau serait une alternative démocratique et régulée à la domination des Etats-Unis et de la Chine, à même de transformer leur instable duopole, qui instrumentalise tous les autres conflits de la planète.
Aux commandes de l’iconomie entrepreneuriale, les deux pays sont en effet sur des trajectoires qui les conduisent à la collision. Seuls les Européens ignorent que la Chine sera en 2025 la première puissance économique et technologique de ce monde de l’iconomie, qu’elle veut nouvel Etat de droit mondial fondé sur des systèmes scientifiques, techniques, financiers et juridiques indépendants de l’ordre international bâti par les Etats-Unis après la Seconde guerre mondiale.
Si ne se met en place ce qu’il nomme ce noyau carolien – au cœur de l’empire de Charlemagne – les années 2022-2023 risquent, selon C. Saint-Etienne, de voir se déclencher la troisième guerre mondiale, combat frontal pour le leadership mondial. « L’Europe-autruche » est prévenue.
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