CHINE, PUISSANCE DU MOYEN-ORIENT ?
Revue Moyen-Orient n°58 avril-juin 2023
Les Nouvelles routes de la soie (BRI) passent naturellement par le Moyen-Orient, région avec laquelle une Chine prudente et qui parle à tout le monde – sunnites comme chiites – a fortement développé ses liens. Egypte, Syrie, Irak furent les premières nations à nouer des relations diplomatiques avec la jeune République populaire de Chine, mais elles devront attendre 1990 pour l’Arabie Saoudite et 1992 pour Israël. Beijing est devenu l’un des principaux partenaires économiques du Moyen-Orient et réussit en 2023 une spectaculaire percée diplomatique en présidant à la réconciliation de Téhéran et Riyad. Mais si elle est parvenue à rallier la majorité des pays arabo-musulmans à sa vision des droits de l’homme – y compris sur les Ouïgours – demeurent des limites aux convergences d’intérêt entre la Chine et ces pays.
Ce Moyen-Orient est à présent déclassé dans les priorités des Etats-Unis : place à une Chine dont les
préoccupations liées à l’énergie sont essentielles. La moitié de ses importations de pétrole viennent de la région : une Arabie Saoudite bientôt membre de l’Organisation de coopération de Shanghai en est le premier fournisseur, le Qatar est le second pourvoyeur de gaz naturel liquéfié, Dubaï ne compte pas moins de six mille sociétés chinoises, tandis qu’Iran et Chine sont depuis 2021 liés par un « partenariat stratégique ».
Chine-Israël, une relation particulière
Des liens très anciens unissent peuple juif et monde chinois, tandis que de fortes relations commerciales et technologiques associent aujourd’hui l’Etat hébreu et une Chine communiste qui investit considérablement dans l’écosystème d’innovation du pays des startups et autres licornes. Cette dernière y obtient d’importants contrats d’infrastructure qui, de la 5G aux installations portuaires, inquiètent Washington… et le renseignement israélien.
Héritière d’une exceptionnelle tradition sinologique, la première université israélienne en Chine a ouvert à
Shantou en 2017. Mais la proximité d’Israël avec les Etats-Unis, une forte divergence sur des dossiers régionaux – Iran, question palestinienne… – compromettent cette lune de miel qui fait débat, tandis que Tel-Aviv diversifie ses partenaires asiatiques, de l’Inde au Japon en passant par Singapour…
Au cœur de la BRI, l’Egypte est un partenaire économique et diplomatique de la première heure, malgré l’éclipse durant son idylle avec l’URSS. Pour la Chine, c’est une plateforme commerciale orientée vers l’Europe, où elle a établi la zone de coopération économique et commerciale de Suez, projette un parc industriel à Sadat City, construit le quartier d’affaires de la nouvelle capitale administrative, un terminal container, une centrale solaire et autres cimenteries… La Chine bâtit plus encore en Algérie : Grande mosquée d’Alger, aéroport international, méga port de Cherchell, voire des villes entières, outre ses projets miniers dans le fer et le phosphate. Lui aussi bien situé sur la BRI, le pays du FLN est depuis des lustres partenaire majeur d’une Chine devenue son premier
fournisseur, devant la France : mille deux cents entreprises chinoises, des dizaines de milliers de travailleurs, alimentant des sentiments ambivalents et fantasmés, tandis que la neutralité chinoise à l’endroit d’Israël et du Maroc interroge. Un Maroc qui en 2016 a rejoint la BRI et attend impatiemment le retour des touristes chinois alors qu’une chinatown voit le jour à Casablanca.
Une diplomatie agricole
Exportations agroalimentaires, investissements, coopération scientifique, achat de terres, fermes de démonstration : le Moyen-Orient est aussi le cadre d’une active diplomatie agricole chinoise, plus d’influence que commerciale, volet agricole des Nouvelles routes de la soie. Elle se concentre sur l’Arabie Saoudite, Iran, Israël et implique de manière privilégiée la région autonome Hui du Ningxia où est établi le Centre de transfert de technologie agricole sino-arabe, le Ningxia dont l’université collabore avec le Qatar en matière d’irrigation numérique économe en eau.
Après une phase d’ascension rapide dans les années 2010, les relations sino-turques ont été – entre autres – percutées par la question ouïgoure. Les liens de commerce, cependant, demeurent : Beijing est le troisième partenaire d’Ankara, qui souhaite connecter son « corridor central » à la BRI. Bank of China, ZTE, Alibaba, COSCO, Huawei (qui dispose à Istanbul d’un important centre de R&D) : des milliers d’entreprises chinoises y sont actives. Mais malgré plusieurs Instituts Confucius, une active diplomatie vaccinale, 53% des Turcs considèrent la Chine comme « une puissance hostile » et 23% « une menace » : dans ce pays qui demeure
membre de l’OTAN, et conserve des divergences avec la Chine sur la Syrie, vit une diaspora ouïgoure d’environ cinquante mille personnes….
Ce numéro du trimestriel Moyen-Orient offre ainsi un dossier riche d’informations sur un sujet peu abordé de manière synthétique – on regrettera qu’il cède à l’opinion, et la plus convenue, quant au Xinjiang et sa population musulmane.
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