Demain la Chine : guerre ou paix ?
Jean-Pierre CABESTAN
Gallimard, 2021
Les années à venir verront-elles Chine et Etats-Unis tomber dans le désormais fameux piège de Thucydide, ressuscité par Graham Allison, et advenir l’inévitable guerre entre puissance dominante et puissance ascendante ? Pour ce dernier, elle n’est pas inévitable, mais plus probable qu’on ne le croit… Ni Beijing, ni Washington ne la veulent, alors guerre froide ou paix fraîche ?
Il est en tout cas une accumulation de passions et de poudre, qui d’abord regarde l’hégémonie en Asie orientale. Profondément réorganisée par le président Xi Jinping, l’Armée populaire de libération (budget de la défense 2020 : 252 Mds USD) vise en 2035 la parité avec l’armée américaine (budget de la défense 2020 : 778 Mds USD), la supériorité en 2050. Ceci dans un contexte de contentieux – économiques, idéologiques, stratégiques – multiples et une agressivité croissante entre les deux puissances, avec à Washington une approche bipartisane de la « menace chinoise ». La compétition ou la guerre ? La réponse ne peut faire l’économie des autres acteurs du jeu, et d’abord Japon, Inde et Australie, impliqués dans les dispositifs étatsuniens : stratégie Indopacifique, dialogue quadrilatéral de sécurité (QUAD), alliance AUKUS (Australia, United Kingdom, United States), … Une Chine en quête de réunification veut elle aussi éviter un piège que cristallise Taiwan : cyber attaque ? Blocus – l’hypothèse la plus probable – ? Nucléarisation de l’éventuel conflit ? Quelle réaction d’une Amérique à la position ambiguë ? Selon notre auteur, Beijing privilégie actions en zone grise, guerre de l’information et tactique de front uni pour soumettre une île toujours très dépendante de la Chine économiquement, et militairement des Etats-Unis : les risques d’incidents armés ou d’affrontement limités vont ainsi croissants.
Autre point chaud, la mer de Chine méridionale, dont la Chine, ici opposée à six autres pays, revendique l’ensemble des terres émergées et 90% des eaux. En deçà du seuil de guerre, elle y pratique, écrit J.P. Cabestan, une politique du fait accompli et fait monter les enchères dans une zone où Etats-Unis et autres nations occidentales, dont la France, pratiquent des opérations de liberté de navigation. Au Nord-Est, Chine et Japon se disputent des îles que la première nomme Diaoyu et le second Senkaku : la tension y est palpable et implique l’allié américain de Tokyo. Héritage du XIXe siècle colonial, un contentieux frontalier oppose sur 3.488 km Chine et Inde depuis leur guerre de 1962. Les deux adversaires se cherchent régulièrement : en 2020 encore, quelques dizaines de morts dans les rangs des deux armées, suivis d’une désescalade, puissance nucléaire oblige… La Chine devrait à l’avenir privilégier des opérations extérieures que lui permettent désormais ses nouvelles capacités de projection et sa base de Djibouti : lutte contre la piraterie, évacuation de ressortissants, opérations de maintien de la paix de l’ONU, qui comptent aujourd’hui 2.600 casques bleus chinois ; vingt y ont déjà laissé la vie.
« Guerre improbable, paix impossible »
La guerre sino-américaine, pense notre auteur, n’est sans doute pas pour demain – confrontation stratégique ne signifie pas automatiquement conflit armé -, les guerres périphériques entre Etats non nucléaires restent plus probables, mais les risques d’incidents et de crises s’accroissent, rappelant la formule :
Avant la réunification, la perpétuation du régime demeure la priorité, et la société chinoise s’est déshabituée de la guerre : le fameux « vaincre sans combattre » demeure l’ordre du jour. Malgré une rivalité stratégique désormais globale devrait s’imposer une nouvelle bipolarité.
L’Europe est impuissante à peser, alors que faire ? « Rappeler à la Chine qu’il ne s’agit pas pour nous d’abandonner notre politique d’engagement à son égard. Elle doit se poursuivre sur tous les sujets sur lesquels il est possible de coopérer : changement climatique, questions sanitaires comme le COVID-19, échanges éducatifs et culturels ainsi que la non-prolifération (les dossiers iraniens et nord-coréen en particulier). Mais il est primordial pour nous de rendre cet engagement plus sélectif, plus conditionnel, c’est-à-dire de constamment l’ajuster en fonction du comportement de Pékin à notre endroit et de nos intérêts. Il nous faut aussi garder à l’esprit que cette politique d’engagement n’a pas pour objectif de changer le système politique chinois tant cet objectif reste dans un avenir prévisible irréaliste ». Une leçon de bon sens ? Pas tout à fait : « pas question pour nous d’adopter une position de neutralité ou de médiateurs entre les deux grandes puissances », conclut l’ouvrage, comme les précédents remarquablement documenté, défense et illustration de la politique américaine : ne s’agit-il pas, in fine, de « convertir la Chine à la démocratie » ?