Dernier vol pour Pékin
Alice EKMAN
Editions de l’Observatoire – 2022
Dans son précédent ouvrage, Alice Ekman entendait mettre en évidence le retour aux sources communistes du régime chinois, notamment depuis 2017. Elle cherche à dégager ici, à partir d’une masse de documents et déclarations officiels du PCC, les conséquences diplomatiques de ce référentiel marxiste-léniniste et maoïste reviviscent, porté par renouveau idéologique, nationalisme décomplexé et fort ressentiment antioccidental. Une « diplomatie de grand pays », un « nouveau type de relations internationales » doivent – supériorité du socialisme sur le capitalisme oblige – permettre à la République populaire d’occuper une place sinon monopolistique du moins « dominante » dans le monde. La rivalité sino-américaine s’avère ainsi compétition idéologique profonde, structurant une opposition entre deux groupes de pays distincts, dessinant des réseaux d’infrastructures parallèles de plus en plus incompatibles, en particulier dans le domaine technologique.
Depuis la mi-2020, on assiste à un durcissement de la diplomatie de Beijing : volonté affichée d’une économie moins vulnérable à la demande extérieure, diabolisation d’un Occident minoritaire et déclinant, responsable du « siècle d’humiliations » comme des grands désordres du monde, et désireux de jeter bas le régime chinois. Fermeture, aussi, aux citoyens, entreprises et idées, voire sanctions contre pays, personnalités et institutions anglo-saxons et européens… et dialogue de sourds culminant au sommet Union européenne-Chine. Un « cercle d’amis » de la Chine – de la Russie au Nigéria en passant par l’Iran et la Serbie – doit marginaliser ces derniers et leurs idéaux démocratiques, tandis que gouvernance et diplomatie chinoises se veulent référence pour le Sud. Du côté de l’autre coalition, les stratégies indopacifiques entendent bâtir une grande alliance démocratique face à Beijing et le « défi chinois » fait désormais partie du nouveau « concept stratégique » de l’OTAN…
Vers la bi mondialisation
Même si demeurent fortement imbriquées les économies de deux premières puissances mondiales, une dissociation économique, financière et technologique se dessine à partir du découplage chinois vis-à-vis de l’Amérique et de ses alliés. Les deux grands envisagent ainsi une mondialisation « entre amis » qui se concrétise par la mise en place de réseaux et infrastructures (télécoms, systèmes de paiement…) incompatibles. Soit une mondialisation alternative qui emprunte des Nouvelles routes de la soie toujours plus numériques, auxquelles Etats-Unis et Union européenne, à l’occasion associés à l’Inde et au Japon, opposent diverses initiatives. Pour Alice Ekman, responsable de l’Asie à l’Institut de l’Union européenne pour les études de sécurité (EUISS), la messe est dite : les considérations idéologiques l’emportent désormais chez les dirigeants chinois sur le pragmatisme, voire l’économie. Si cette diplomatie, nuance l’auteur, « n’est pas dénuée de calculs rationnels et n’est pas qu’idéologie et dogmes », le processus de fermeture partielle à l’Occident va se poursuivre, qui doit accélérer l’avènement d’un monde post américain où prévaudront deux lectures totalement différentes de la réalité : de la guerre des récits et des technologies à la guerre des coalitions…
Et de ce monde d’après COVID, Jean-Yves Le Drian est le prophète : « le même que celui d’avant. En pire ». On l’a compris, c’est de Bruxelles que décolle le dernier avion d’A. Ekman. Etrangement, la tour de contrôle européenne, plus souvent qu’à son tour dans le brouillard, ne semble guère s’inquiéter de la compagnie aérienne indienne… Pourtant, les stridentes remises en question de la prééminence occidentale ne viennent pas que de Xi Jinping. Il en est aussi de Narendra Modi à la tête d’une Inde présidant le G20, si liée à la Russie et si ambivalente quant à la Chine. « India First » : elle (aussi) estime avoir une revanche à prendre sur l’Occident et l’Inde hindoue a (aussi) le devoir de guider le monde. Un monde d’après qui risque d’être plus complexe que prévu.
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