Triades. La mafia chinoise à la conquête du monde
Antoine VIKTINE, Tallandier, 2025

«Triade» est un terme créé par la police coloniale de Hongkong désignant des fraternités, à l’origine sociétés secrètes de protection et d’entraide, devenues gangs dominant aujourd’hui cybercrime, trafic de stupéfiants et d’immigrants illégaux, escroqueries en ligne, recyclage d’argent sale et criminalité environnementale. A Hongkong, Macao, Taïwan et en Chine continentale, elles réuniraient entre deux cent cinquante mille et un million de membres. Les plus importantes ont pour noms Sun Yee On, fondée en 1919 et dont les tentacules s’étendent en Asie, Europe, Amérique du Nord, 14 K, Bambou uni, Alliance céleste, Wo Shing Wo, Grand cercle… Selon l’ONU, entre 2 et 5% du PIB mondial serait blanchi chaque année et près de 5% de ce même PIB serait le fruit du crime organisé, œuvre de mafias qui entretiennent des liens profonds, structurels, avec le monde politique, prospérant sur fond d’affaiblissement des Etats et d’anomie globale croissante.
Réfugié à Taïwan après 1949, Bambou uni est ainsi proche du Guomindang et Alliance céleste du Democratic Progressive Party à présent au pouvoir. D’autres, fuyant partis communiste et nationaliste, se réfugient à Hongkong, ainsi la 14 K, soutenue par la CIA et les Britanniques – elle participe au maintien de l’ordre social – avant de s’étendre à une bonne partie de la planète après qu’en 1994 la colonie de la Couronne interdit l’appartenance aux triades. Dans les années 1980/1990 elles contrôlent la production cinématographique de Hongkong qui s’emploie à donner d’elles une image romantique… Liées aux diasporas, elles s’implantent dans les chinatowns. Interdites sous Mao, l’ouverture économique ultérieure de la Chine entraîne une résurgence de la criminalité. Quelle attitude le gouvernement de la République populaire doit-il adopter à leur égard ? Certains dirigeants entendent les éradiquer, mais est-ce réaliste ? D’autres, à l’exemple de Deng Xiaoping, sont plus ambivalents, qui leur reconnaissent une fibre « patriotique ». L’ambiguïté prévaut… et des triades grassement rémunérées exfiltrent vers l’Occident des centaines de manifestants de juin 1989 ! Certains de leurs chefs – tel Alvin Chau de la 14 K, qui contrôle les casinos de Macao – sont un temps parmi les hommes les plus puissants de Chine. Coffre-fort, banque et blanchisserie des triades, Macao devient avec Stanley Ho capitale mondiale du jeu, qui en 2010 dépasse Las Vegas… La Sun Yee On et la 14 K fournissent en métamphétamines les cartels mexicains. Le Grand cercle, lui, ne contrôle pas de territoire mais œuvre dans une dizaine de pays. Une sorte d’Apple ou d’Amazon du crime : innovations technologiques, logistique mondialisée, ubérisation… Les « têtes de dragon » se muent en chefs d’entreprises. Alliance céleste, Bambou uni : l’emprise des triades sur Taïwan – une « petite Sicile » ? – est forte : économie, politique, religion. La Thaïlande est également l’une de leurs terres historiques, avec dix millions d’habitants d’origine chinoise. D’autres organisations se font relais du Parti communiste chinois et de sa politique de front uni, un choix à double tranchant. Cambodge, Birmanie, Laos, les activités criminelles suivent les Nouvelles routes de la soie ; au menu : casinos virtuels, enlèvements, cyber escroqueries, blanchiment, industrie du faux, migrants, espèces sauvages, métaux rares, sécurité privée et cryptomonnaies… Selon Europol, les triades seraient impliquées dans le tiers des activités liées au crime organisé : la mafia du Fujian est considérée comme la plus importante d’Europe. Une criminalité difficile à cerner, tant les triades actuelles relèvent de la startup mafieuse ; actives en Italie et en Espagne, en France leur spécialité serait le blanchiment. Mais la priorité des triades est l’Amérique du Nord, et Vancouver leur capitale d’où elles ne rechignent pas à financer la vie politique d’un pays qui compte 5% de sa population d’origine chinoise. Elles collaborent avec les cartels mexicains, afin de faire entrer héroïne et drogues de synthèse aux Etats-Unis, dont le fentanyl – cinquante fois plus puissant que l’héroïne et cent fois plus que la morphine -, y provoquant une sérieuse crise sanitaire au point de voir Joe Biden et Xi Jinping s’écharper sur le sujet. Revanche des guerres de l’opium ?
« Les triades et le Parti communiste chinois se sont construits tantôt dans l’opposition, tantôt dans la collaboration », écrit l’auteur. A l’évidence. Toutes sont hostiles au PCC, narre-t-il ; en 2013, la télévision chinoise diffuse en direct l’exécution d’un haut dirigeant de la Sun Yee On qui a importé plus de trois tonnes d’héroïne, avant que Xi Jinping – qui pour avoir la peau d’Alvin Chau n’a pas hésité à limoger son ministre de la sécurité publique – ne lance de gigantesques opérations antimafias mobilisant jusqu’à trois mille militaires et entraînant arrestations par dizaines de milliers, puis ne pourchasse les laboratoires de métamphétamines contraints de se replier en Birmanie. En même temps « la Chine ferme les yeux sur les activités des triades à l’étranger si elles s’alignent sur sa stratégie » poursuit-il, dénonçant une proximité entre PCC et organisations criminelles.
Difficile de convertir en ouvrage un documentaire télévisé : mal construit, le premier a pour seule originalité d’être basé sur des entretiens avec des personnages dont – sans être désobligeant – on peut penser que la sincérité n’a d’égale que l’honnêteté. Et que pour être diffusé ledit documentaire a naturellement été contraint de passer sous les fourches caudines et idéologiques de la chaîne Arte…
Réagir