Chine, puissance africaine. Géopolitique des relations sino-africaines
Xavier Aurégan
Ed. Armand Colin juin 2024
Entre la République populaire de Chine et l’Afrique, c’est une longue histoire qui remonte aux années 1950 ; sa configuration actuelle se dessine à compter de 1993 et se précise avec le lancement en 2013 des Nouvelles routes de la soie ou Belt & Road Initiative (BRI).
Rivale de celle de Taïwan, la diplomatie chinoise en Afrique a longtemps été une longue quête de reconnaissance – avant 1955, aucun pays africain nouvellement indépendant n’a encore reconnu le régime de Beijing. A l’heure du tiers-mondisme et de l’exportation de la révolution maoïste, ce dernier soutien mouvements de libération nationale et partis communistes locaux sur fond de lutte contre les impérialismes américain et soviétique. Elle exporte idéologie, armes, « médecins aux pieds nus » – une médecine socialiste de proximité – et modèle des fermes d’Etat. Reconnue en 1949 par la majorité des Etats, Taïwan ne l’est plus en 2023 que par 23 d’entre eux membres de l’ONU (sur 193), ce qui ne l’empêche pas d’entretenir des liens informels avec l’Afrique… Une diplomatie « réaliste, pragmatique et naturellement vénale » a, selon notre auteur, permis l’essor des relations sino-africaines. Les acteurs chinois sont publics, privés, « non-officiels » : banques, fonds d’investissement et souverains, compagnies d’assurance, lobbies, et plus que tout autre, la SASAC1 qui chapeaute les entreprises d’Etat – aujourd’hui la plus importante et la plus riche entité économique de la planète. L’expression « Chinafrique » est approximative, tant sont hétérogènes les rapports commerciaux entre la Chine et les 53 Etats africains qui la reconnaissent.
1993-2023 constituent les Trente glorieuses de la Chine en Afrique : un essor sans précédent des importations et exportations chinoises, essentiellement avec l’Afrique du Sud et l’Angola, suivis par le Nigéria, l’Egypte, l’Algérie, la République démocratique du Congo, le Ghana, le Soudan, le Congo Brazzaville, la Lybie, le Maroc et le Kenya. Un attrait chinois pour les puissances énergétiques et une balance commerciale largement excédentaire en faveur de Beijing, qui importe essentiellement des matières premières peu ou non transformées et exporte des produits manufacturés. Xavier Aurégan juge les critiques de l’ONU à l’encontre de l’Afrique « hypocrites » : si, depuis 2009, une Chine représentant 34% de son déficit, est le premier partenaire commercial du continent, les Etats-Unis, la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne sont bien présents et, à compter de 2014, l’Inde est devenue le second partenaire commercial africain… Au départ « désintéressés », les prêts chinois et une aide au développement, adaptation syncrétique des aides soviétiques et occidentales, doivent à présent offrir un retour sur investissement, dans le cadre d’une coopération « désenchantée et pragmatique » présentant des conditions pouvant réendetter ou surendetter les Etats. Après la santé et l’éducation, l’agriculture figure au rang des principaux secteurs éligibles au financement chinois du développement ; Zambie, Mozambique, Madagascar : la RPC achète des terres arables en Afrique (4 millions ha en 2023 ; 2,6 millions pour la France).
Une nouvelle ère sino-africaine
La Chine investit peu en Afrique, mais s’y investit beaucoup ; l’investissement direct étranger (ici d’abord fléché vers la construction et l’énergie) est – à l’encontre des idées reçues – le parent pauvre du lien sino-africain, loin derrière ceux de la France, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. On dénombre, aujourd’hui 28 zones économiques spéciales chinoises implantées dans 17 pays africains, 45 parcs industriels (dont 10 en Ethiopie) tandis que les contrats chinois constituent une autre modalité d’intervention et un relais de croissance essentiel : Afrique du Sud, Angola, Nigéria, Algérie et Egypte, concentrant l’essentiel des relations économiques sino-africaines. La BRI entend ouvrir « une nouvelle ère sino-africaine » au profit d’un continent représentant environ les tiers des pays membres du dispositif chinois. Avec un coût de transport international des marchandises le plus élevé au monde, ses besoins en infrastructures sont incommensurables : la Chine a pour priorité et stratégie de les financer et faire construire par ses entreprises publiques, qui réalisent au moins le quart des chantiers africains. Depuis 2000, 26 Etats africains sont à des degrés variables concernés par une forme de présence chinoise dans leurs ports, en fonction des lignes maritimes les plus stratégiques de la RPC. Il est aussi une Route sanitaire de la soie, sur laquelle durant le COVID ont amplement circulés masques et vaccins, avec le Centre de l’Union Africaine pour le contrôle et la prévention des maladies, sis à Addis-Abeba, et des filiales dans cinq autres pays.
Atomisation, diversité et conflictualité caractérisent une présence chinoise en Afrique, qui peut y apporter technologies, savoir-faire et compétences utiles. Souvent caricaturées, les migrations chinoises sur ce continent sont plurielles : historique ou nouvelle, officielle ou privée, investisseurs ou touristes… Pour les 500.000 à 2 millions de Chinois présents, cette Afrique n’est point un eldorado mais un tremplin : une migration en réalité « fragmentée, opportuniste et mercantiliste », ici ou là – et parfois violemment – contestée, à qui l’on reproche concurrence déloyale, piètre qualité des produits, trafics, pillage halieutique…
L’Afrique, qui génère le tiers des conflits armés dans le monde, abrite à Djibouti l’unique base militaire chinoise à l’étranger. Une présence sécuritaire accrue : opérations de maintien de la paix sous les couleurs des Nations Unies (16 Casques bleus chinois ont déjà perdu la vie en Afrique), manœuvres conjointes, forums et formations de défense, entreprises privées de sécurité, ventes d’armes et de matériel militaire (dont 55% concernent l’Egypte, l’Algérie et le Soudan) – le continent représente 44,4% des exportations d’armes chinoises dans le monde, largement distancées par celles de la France, des USA et de la Russie. L’Afrique est également un laboratoire en matière d’exportation du système de gouvernance chinois. Une influence croissante qui s’observe également dans le domaine médiatique, le cyberespace, le spatial – sur 50 satellites africains, 6 sont chinois – et la technologie financière – la Chine y expérimente sa Fintech, tandis qu’une dizaine de pays auraient adopté la Smart City chinoise…
« D’un point de vue transcalaire, une structure fractale sino-africaine apparaît, que nous qualifions d’emboîtement spatio-économique pour suggérer qu’à chaque « zoom » et « dezoom », des enjeux géopolitiques inhérents aux relations sino-africaines peuvent se manifester et être analysés »… S’il n’échappe pas parfois à l’écueil du jargon pseudo scientifique universitaire, Xavier Aurégan, géographe, maître de conférences à l’Université catholique de Lille, livre un tableau particulièrement fouillé et documenté – loin des poncifs médiatiques sur le sujet – d’une présence chinoise qui ne saurait être ni minimisée ni exagérée, accompagné d’une précieuse cartographie que la couleur aurait rendue plus lisible. Permettant aux Etats africains de créer des espaces de liberté et de ressources supplémentaires, « la politique africaine de la Chine, conclut-il, a indirectement redonné un rang plus conforme aux Etats africains ». Matières premières (l’Afrique en recèle 30% des réserves mondiales), commerce : le continent demeure un levier essentiel de l’économie chinoise, une réserve de soutiens et de voix, laboratoire et mode de projection du mode de gouvernance chinois. La Chine est une puissance africaine.
- State-owned Assets Supervision and Administration Commission of the State Council ↩︎
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