L’Immigration chinoise en France. Le tapis rouge de Xi Jinping
Véronique POISSON – Les Indes savantes 2023
L’immigration chinoise en France, l’une des plus anciennes d’Europe et la plus importante numériquement, est à 80% localisée en Ile-de-France. Elle a trois foyers d’origine : Wenzhou (au sud de la province du Zhejiang), l’Asie du Sud-Est et le Dongbei (le Nord-Est de la Chine, ancienne Mandchourie). L’ouvrage de Véronique Poisson, au sous-titre étrange, qui ne traite pas de ceux venus entre 1975 et 1992 de l’ancienne Indochine, privilégie l’anecdote à l’analyse… et aurait sans doute gagné à une relecture traquant les fautes de français.
C’est en fait une histoire ancienne. Sans remonter aux premiers Chinois arrivés en France dans les valises de missionnaires catholiques, tel Arcade Huang, le fameux interprète chinois de Louis XIV, dès la fin du XIXe siècle, des commerçants du Céleste Empire tentent de se faire une place sur le marché européen avec les « chinoiseries » – le premier magasin chinois ouvre place de la Madeleine en 1904 -, établissant le socle d’une immigration organisée à partir de stratégies familiales et entrepreneuriales : les premiers venus se font aussi pédicures, ébénistes, restaurateurs. Sur les 140.000 travailleurs chinois recrutés lors de la Première Guerre mondiale, entre 2 et 3.000 demeurent en France, rejoints dans les années 1920 par les jeunes participant au Mouvement travail-études ou ceux intégrant l’Institut franco-chinois de Lyon. Le Zhejiang (Wenzhou, Qingtian…) fournit les principaux contingents d’immigrés vers l’Europe, fuyant pauvreté, calamités naturelles et conflits armés, un flux – modeste de 1937 aux années 1980 – que tentent difficilement de réguler autorités chinoises et françaises, officiellement interdit en 1966, dans le contexte d’une fermeture ambiguë de la République populaire depuis sa fondation jusqu’à l’ère Deng Xiaoping…
L’émigration reprend alors, très largement organisée par des réseaux mafieux sur lesquels l’ouvrage est fort pudique… alors même que le Zhejiang est en passe de devenir l’une des plus riches provinces de Chine. Cadre politique instable, planning familial, corruption peuvent l’expliquer, et à l’époque du passeport intérieur (hukou), il s’avère plus facile de partir pour la France que pour la ville… Pour émigrer, il faut argent et relations, ce qui correspond au profil du petit entrepreneur de l’époque Deng. Avec les régularisations de 1981 et le regroupement familial, un puissant appel d’air voit s’organiser les filières d’émigration et la France accueillir la plus importante communauté Wenzhou, par ailleurs présente dans 85 pays. A Paris, le quartier des Arts & Métiers l’abrite avec ses activités – maroquinerie, textile, jouets, bijouterie fantaisie… – idem pour le « nouveau sentier chinois » du 11e arrondissement et son prêt-à-porter bas de gamme, bientôt redéployé en Seine-Saint-Denis, après que les problèmes de mono activité économique aient généré des tensions avec les habitants. Et plus, encore aujourd’hui à Aubervilliers et son Centre international France-Asie – première plateforme européenne d’import-export avec la Chine – où, sur la superficie de quatre arrondissements parisiens, s’activent 12.000 personnes, grossistes de tous types de produits. En 2018 s’y ajoute près de Roissy le nouveau centre d’affaires Silk Road Paris, dévolu aux accessoires de mode, à la maroquinerie et au design. La proportion d’entrepreneurs parmi les Chinois vivant dans l’hexagone est ainsi supérieure à la moyenne nationale (10,6% contre 2,7%).
Les immigrants originaires du Nord-Est de la Chine sont différents, tant dans leur mode d’accès à la France que leurs profils, moins familiaux, plus éduqués et féminins ; c’est le chômage, lié à la restructuration des entreprises publiques dans les années 1990, qui les pousse à partir. A Paris, les femmes se trouvent vouées aux salons de manucure, de massage voire à la prostitution.
Dans la plupart des cas, le migrant n’a pas de visa et se trouve surendetté vis-à-vis des passeurs (il faut de 2 à 15 ans pour rembourser) : confection, restauration, bâtiment s’ouvrent à cette main-d’œuvre clandestine, proie facile des « avocats » chinois qui leur facturent très cher aide médicale, documents administratifs gratuits et faux dossiers de réfugié, tandis que ceux qui ont été naturalisés reprennent les cafés-tabac. Un marché du travail ethnique, territorialement sectorisé et très réactif, où les entreprises se montent grâce aux tontines, le célèbre crédit tournant communautaire chinois. Et un univers où temples et communautés religieuses – Wenzhou est surnommée « la Jérusalem de la Chine » – tempèrent capitalisme sauvage et délinquance économique… L’ascenseur social fonctionne pour ceux originaires de Wenzhou et les Teochews (venus de Chaozhou, au sud du Guangdong) à l’issue de brillants parcours scolaires puis professionnels après plusieurs générations sur le sol français. A l’occasion victime de racisme « en particulier d’autres communautés immigrées » comme l’écrit toujours aussi pudiquement V. Poisson, cette « communauté chinoise » s’avère une réalité complexe et polymorphe.
Petit lexique franco-chinois des onomatopées, interjections et autres bruits
Alexis BROSSOLET – You Feng Libraire & Editeur, 2010
Vous êtes titulaire d’une maîtrise de chinois de Langues’O ou avez atteint le niveau le plus élevé du HSK ? Bravo ! Mais savez-vous dire en chinois ouïe (哎哟 aiyo), badaboum (咕咚 gudong), brr (瑟瑟 sese), cocorico (喔 wo) ou, plus important encore, areuh areuh (咿咿啊啊 yi yi a a) et prout (嘭嗤 pengchi) ? Non, alors il est urgent de combler cette lacune et ce petit lexique, ancré dans la littérature contemporaine, est fait pour vous. C’est celui des mots bruyants d’une langue chinoise friande d’onomatopées et autres interjections qui y conservent un statut lexical inconnu en français. Abondantes dans les romans policiers – coups de feu, portes enfoncées, poursuites automobiles… – ou les nouvelles de cape et d’épée, elles sont naturellement moins nombreuses dans les éditoriaux du Quotidien du peuple, même si elles font les saveurs de la langue.
L’auteur du Petit lexique n’est pas n’importe qui : près de trois décennies durant officier dans la Marine nationale (dont dix-sept années d’affectation en Chine et autres pays asiatiques), Alexis Brossolet a récemment traduit en français deux polars taïwanais haletants signés Chang Kuo-Li, ancien rédacteur en chef du China Times Weekly (Taïwan), linguiste, historien, poète, dramaturge et critique gastronomique : Le Sniper, son wok et son fusil ,ainsi que Le Sniper, le président et la triade, tous deux récemment parus dans la Série Noire des Editions Gallimard.
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