Le jour où la Chine va gagner.
Dans l’univers anglo-saxon, meilleurs journaux et meilleurs services de renseignement – les Five Eyes[1] – dépeignent une Chine expansionniste, militariste, mantra essentiel du politiquement correct… tandis que les dirigeants savent que seule une déclaration formelle d’indépendance de Taïwan serait belligène et que la confrontation entre puissance dominante et puissance émergente ne pourra se régler militairement. Dirigée par une antithèse de Donald Trump, une République populaire hantée par le chaos et d’où l’oppression n’est pas absente, est une puissance de statu quo, au gouvernement (si l’on en croit les enquêtes américaines) fort de la confiance de 84% des citoyens (33% aux USA et en France), qui ne considèrent plus au 21e siècle que leur salut réside dans l’imitation de l’Occident. Mais le postulat de la vertu fonde l’idée que l’Oncle Sam se fait de lui-même et de son rôle dans le monde, bien qu’il s’agisse du seul grand pays développé où le revenu moyen de la moitié la plus pauvre de la population ait stagné de 1980 à 2010.
[1] Five Eyes (FVEY) : alliance des services de renseignement de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis
La guerre sino-américaine nuit à tous les autres pays : contrainte ou corruption ne pourront les obliger à choisir un camp ou l’autre. La meilleure façon de favoriser l’émergence d’une société plus ouverte en Chine consiste non à lui faire la leçon… mais à encourager les Chinois à visiter le Japon et les décourager de voir la démocratie indienne (qui par ailleurs jamais ne deviendra un allié docile contre la Chine).
Un affrontement géopolitique majeur entre Etats-Unis et Chine écrit K. Mahbubani « est inévitable et évitable ». En mal de bouc émissaire, ayant « une attitude mais pas de politique » si l’on en croit le Wall Street Journal, les stratèges américains commettent l’erreur de croire que le communisme chinois menace leur démocratie, alors que c’est en fait le succès et la compétitivité de l’économie et de la société. La raison indique qu’il n’est pas de contradiction fondamentale entre les vrais intérêts nationaux des deux pays, sinon dans le domaine des valeurs, notamment politiques. Les Chinois pensent eux que besoins sociaux et harmonie collective sont plus importants que besoins et droits individuels, et que la prévention du chaos et du désordre est l’objectif premier d’un gouvernement. Leur pays ne deviendra pas une réplique politique ou sociale d’une quelconque société occidentale, libérale et démocratique.
Si l’affrontement entre les deux oppose une démocratie saine et souple à un système communiste rigide et intraitable, les Etats-Unis l’emporteront ; à l’inverse, s’il met en présence une ploutocratie rigide et intraitable et un système méritocratique sain et souple, la Chine gagnera. Les hommes, raconte K. Mahbubani, regardaient avec pitié deux tribus de singes continuant à se battre pour défendre leur territoire alors que la forêt brûlait. La question finale, conclut-il, sera de savoir non si Chine ou USA ont gagné, mais si l’humanité a gagné.
Une analyse aux antipodes exacts du prêche médiatique hexagonal, auquel de plus en plus se raccrochent des politiques en mal de vision. S’ils récusent un auteur qui a le défaut d’être asiatique et informé, peut-être pourraient-ils prêter attention à la préface, signée Hubert Védrine, d’un ouvrage que l’éditeur français a affublé d’un titre ridicule (l’original est Has China Won?). Le contexte de l’affrontement sino américain, écrit l’ancien ministre des Affaires étrangères, exigerait que l’Europe devienne machiavélienne, décide d’un moratoire sur l’immigration, s’affirme, revigore le lien transatlantique et maintienne avec la Chine des coopérations diverses et variées, afin d’éviter un choix binaire désastreux